Chapitre I
Le réveil sonna à 6 heures. Ses cours ne débutaient qu’à 8h30, mais les poils sur son torse commençaient à le gêner. Il était temps de s’en débarrasser. Face au miroir, Charlie se sentait mal à l’aise. Il espérait que ce n’était que sa tête du réveil, mais il savait que dans une heure tout serait pareil. Pendant que l’eau chaude coulait dans la baignoire, son rasoir descendait le long de son torse musclé. Après s’être attaqué à ses poils pubiens, puis aux poils de sa barbe en ayant pris le soin de changer de rasoir, il effectua quelques exercices. Une dizaine d’abdos, quelques séries de pompes. Ensuite, il se dirigea vers son ordinateur pour choisir la musique qu’il écouterait dans son bain. Dans une liste de ses fichiers téléchargés, il choisit un nouveau groupe d’électro-pop. Ce matin, il voulait être cool. Il voulait avoir quelques choses à dire aux autres. Il voulait montrer aux autres qu’il était en avance, une fois de plus.
Pendant que les pistes défilaient, Charlie massait ses cheveux. Pour avoir plus de volume, disait-il. Il alternait l’eau chaude et l’eau froide, mais rien n’y faisait. Il était toujours mal dans sa peau. Il sortit de son bain, appliqua un déodorant sans alcool, puis chercha quoi se mettre. Hier, c’était facile : il n’y a avait qu’une heure trente de cours et pas de soirée, cela laissait peu de place pour une rencontre. Mais aujourd’hui, 7 heures de cours. 7 heures, 4 interclasses dont la si longue pause déjeuner. Et autant d’espoir. Un beau boxer Calvin Klein, noir, classique. Des chaussettes bleues marines. Une chemise noire à rayure blanche extrêmement cintré qui mettait en avant son élégante silhouette. Il n’était pas grand, et cela le gênait beaucoup. Un jean bleu sombre. Un pull noir par-dessus la chemise. Les manches de la chemise dépassent légèrement du pull. Le col impeccable. Une question, essentielle : chemise rentrée ou pas. Rentrée, style classique, petit bourgeois de provinces. Assez agréable à regarder. Mais sortie, négligé, désinvolte. Dandy qui se moque des règles. Mais quelque peu arrogant. Le risque d’être un peu trop regardé. Là était tout le paradoxe : Charlie aimait être regardé, mais il ne devait pas lire le jugement dans le regard de l’autre.
Ca sera négligé. C’est la musique qui en a décidé ainsi. Charlie se brossa ensuite les dents, appliqua sur sa peau une crème hydratante qui lui permettait d’avoir un bon teint et ainsi mettre ses yeux en valeur. Puis un petit peu de gel. Pas beaucoup car il venait de lire dans GQ que trop de gel était mauvais. Donc juste un peu, pour lui permettre d’avoir une coiffure elle aussi un peu négligée. Il se posa devant son ordinateur. Il lut quelques nouvelles sur internet. Il effaça les spams qui constituaient la majorité de ses mails. Il prit ses chaussures et les cira quelque peu. Les lacets, double nœud pour être tranquille toute la journée, car il avait peur de se baisser. Il est toujours délicat d’avoir à se baisser. Ce n’est jamais une position très élégante. Il se leva, mit son écharpe autour du cou. Il la nouait de manière à ce qu’elle se positionne un petit peu comme une cravate. Il avait trouvé ça sur internet. Il enfila son grand manteau noir, et il sortit de chez lui, comme tous les matins.
Les trois étages d’escalier n’étaient pas très intéressants. Pas plus que les qui le séparaient de son Ecole. Ni son entrée, son arrivé jusqu’à la salle de classe. Ni le moment où il enlevait sa veste et son écharpe, ni le moment où il quittait la salle pour aller chercher son café. En fait, là où ça devenait intéressant, c’était une fois qu’il était posé sur la rambarde, et qu’il regardait les gens arriver. Il était toujours au moins 30 minutes en avance. Et il attendait. Il regardait les autres élèves entrer un par un, ou ensemble. Il aimait voir les nouveaux couples, les jolies filles, ses amis, les gens qu’il n’aimait pas, les ex qui le fuyaient, les professeurs fatigués, ceux qui ont trop bu la veille, ceux qui n’ont pas beaucoup dormi, ceux qui n’aimait pas l’Ecole et qui voulaient échapper à tout regard. Certains, qui venaient de beaucoup plus loin que lui, était présent aussi en même temps que lui. Mais ils s’occupaient en lisant les journaux gratuits. Charlie détestait les gens qui lisaient les journaux gratuits. Il les trouvait creux. Les journaux et les gens. Parfois il lisait l’horoscope. Il avait toujours l’impression que celui-ci le narguait.
Son café dans la main gauche, la droite disponible pour serrer des dizaines et des dizaines de mains. Tous les jours. Un cirque infernal. Un cirque infernal qui recommençait chaque jour. Des gens, qu’il aimait, plus ou moins. Parfois ils ne les connaissaient pas. Ou si peu. Charlie était là, et las. Jour après jour un peu plus las.
Il s’ennuyait profondément. Pourtant ses cours passionnaient ses camarades. La finance internationale. Wall Steet. La
Défense. D’immenses tours de verre. Des bureaux en chênes massifs. Des stylos finement dorés, parés de pierres. Le succès social. Voila ce à quoi aspiraient tous ses camarades. Et lui, au fond de lui, quelque peu aussi. Mais ce n’était pas de la passion. Ce n’était qu’une simple image, un système de pensée qui l’avait amené à considérer ce qu’était réussir sa vie. Quand vous n’avez ni la foi, quand vous êtes profondément libéral, quand vous ne croyez pas en la morale, quand vous haïssez votre famille, quand vous avez peur du lendemain, vous devez élaborer tout un système de pensée, solide comme un château de cartes, mais qui vous stabilise, vous apaise le soir quand les insomnies guettent alors que votre souhait le plus cher est juste de dormir car trop fatigué de penser encore et encore ce que vous êtes, mais pire que tout, ce que vous n’êtes pas.
Charlie aimait être amoureux. Il aimait que son cœur batte. Charlie se battait chaque jour pour de la tachycardie. Il la provoquait parfois. Mais il préférait être surpris par son cœur. Le moment où il ne pensait pas ressentir quelque chose et pourtant…était quelque chose de profondément merveilleux.
Il était l’heure. Les taux, les dérivés, les swaps, les produits vanilles, les produits exotiques, la fatigue, le cours euros dollars, l’influence du cours des matières premières, le Nikkei, la lassitude, le PER, le turnover, la rentabilité, la belle fille qui passe de l’autre côté de la fenêtre…Et puis les rêves, encore et toujours, des rêves de rockeurs, de sportifs aux JO, d’acteurs, de réalisateurs, d’artiste, de héro, de pilote automobile, de jolies filles admiratives, de gens détestés qui vous admirent nerveusement, de voyage, loin, dans de grandes villes, des costumes taillés impeccablement, de tigres qui vous mangent dans la main, du plus grand dirigeant d’entreprise en couverture du Times, de galeries d’art moderne. D’un peu d’envie de la part des autres tout simplement, et inexplicablement. Vouloir être différent, un tout petit peu.
Mais il y avait un rêve qui revenait, plus que les autres. Etait-il plus accessible ? Peut-être. Charlie, au fond de lui, voulait être écrivain. Parfaitement, écrivain. Avait-il déjà écrit ? Un peu. Quelques nouvelles. Quelques nouvelles et quelques bons échos, alors il s’était dit, pourquoi pas. Mais Charlie avait un problème, il ne savait plus quoi écrire. Et là était tout le problème de sa courte vie.
*
Aurélie, à quatre pattes, le nez barbouillé de peinture, pleurait en tapant des poings par terre jusqu’à ce qu’elle en saignait. Elle n’y arrivait pas. Elle n’en pouvait plus. C’était devenu tout simplement insupportable de ne pas réussir ce qu’elle voulait. Maintenant assise au milieu de son loft de carrée en plein Paris, Aurélie hésitait entre s’ouvrir les veines, une tartine de Nutella, ou appeler David. Elle voulait bien faire les trois à la fois, mais après y avoir quelque peu réfléchi, cela paraissait peu compatible, bien que l’idée de quelques jeux sexuels lui arrivaient à l’esprit. Elle n’en ferait rien.
Une gorgée d’eau, un coup de I’m so excited repris par Le Tigre, et là revoilà partie au milieu de sceaux de peintures de toutes les couleurs. Dans un coin du loft, on pouvait voir quelques toiles déchirées par ses propres soins, car cela faisait maintenant un petit moment qu’elle n’y arrivait pas. Elle en venait à détester ce voyage avec son père sur la banquise. Elle y avait appris que les Inuits avaient plus d’une trentaine de mots pour ce qu’elle appelait communément : le blanc. A partir de là, elle s’était mis à s’intéresser de plus près à la couleur. Ses dessins, noirs et blancs jusque là, avaient été mis de côté. Et elle s’était mis à rêvée d’une couleur, unique, sa couleur. Jalouse jusqu’au bout de ses ongles bariolés de Klein, elle mélangeait des dizaines de couleurs, des dizaines de tons, dans une sorte de bouillie infâme qui ne menait à rien. Depuis deux mois elle n’avait plus produit un seul tableau, elle qui était d’habitude si prolifique. Mais elle voulait être chose. Le simple style, original, était une idée totalement dépassée à ses yeux. Il était temps de donner une couleur à son nom.
Décrire Aurélie est une chose impossible. C’est le genre de fille dont vous êtes forcément amoureux. Tout d’abord elle était belle. Simplement parfaite. Grande, fine, blonde, yeux clairs. Cette simple description est à la fois juste si l’on veut être objectif, mais une terrible insulte à la poésie et aux sentiments si l’on est honnête. Car en fait elle n’était pas blonde, elle dégageait à la fois la froideur des premiers vents d’automnes et la fragilité d’un arbre en hivers lorsque l’on regardait ses cheveux tombés en arrière. Elle n’était pas grande, elle portait ses yeux au plus haut dans le ciel, au plus près d’où ils méritaient d’être. Elle n’était pas fine, elle était l’aboutissement du chemin de la soie, là où les plus beaux tissus après avoir parcourus le monde rêvaient de se poser. Elle était ce nuage que l’on pouvait regarder des heures en y cherchant des formes connues. Elle était une page de Francis Scott Fitzgerald, elle était le jazz des soirées mondaines. Elle était cette bulle de champagne qui refuse de grimper le long des parois du verre et que l’on fixe en espérant vainement la voir décrocher. Si vous n’êtes pas encore amoureux d’elle, c’est que vous vous trompez.
Des milliers de métaphores me viennent à l’esprit pour vous décrire son caractère. Je pourrais en inventer des mots. Car il semblait bien que c’était ce qu’il manquait le plus pour la décrire, du vocabulaire. Le premier venu aurait pu vulgairement l’appeler princesse, j’aurais pris sur moi et me serais transformé en Prince de Motordu. Elle était si simplement parfaite que les gens ne pouvaient envisager que des rencontres arrangés avec de riches héritiers pour elle. On ne voulait pas laisser une si belle créature le risque de tomber bêtement amoureuse. L’imprévu ne devait pas exister pour elle. On le lui interdisait. Et elle ; n’en pouvait plus.
Que peut représenter une nouvelle couleur ? Un besoin de postérité, de reconnaissance pour autre chose que ce qu’elle était elle ? En fait, tout était beaucoup plus simple que cela. Elle aimait vraiment l’art et voulait être une artiste. Rien de plus. Aurélie était complexe sur des centaines de points, mais pas là. Elle était juste une jeune fille extrêmement talentueuse travaillant ce qu’elle avait toujours été, une artiste.
Bien sur, elle avait la chance de faire Science-Po. Elle serait bientôt diplômée, promise à un brillant avenir. Mais elle s’en fichait. Si vous lui demandiez, elle vous disiez qu’elle était artiste. C’est tout. Et cela depuis qu’elle avait treize ans. Chose magnifique pensait son père. Car, pour tout ceux qui pratiquent un art quel qu’il soit, il est toujours immensément difficile de passer du moment où vous vous définissez par votre travail et que vous parlez du reste comme votre passion, et le moment où vous vous définissez par votre art et que le reste n’est que survie, en attendant l’opportunité, la chance, et parfois pour certains, le talent, qui ne se déplace que très rarement malheureusement.
Elle n’avait pas eu de mal. Mais aujourd’hui, elle se battait contre elle-même et cette couleur qui ne venait pas. Après quelques nouvelles bouillies, après quelques pinceaux volants qui traversèrent la pièce, après quelques cries, quelques larmes, le Nutella. Définitivement, le Nutella.
*
Après ses deuxièmes problèmes avec la police, Alexandre décida de s’exiler de la ville. Armé de son télescope comme prolongement de ses yeux, il retrouvait l’air de la campagne, où les lumières de la ville n’agressaient plus personne, et où aucuns voisins ne craindraient que son intimité ne soit violée. Car après tout, ce qui est privé doit rester privé. Ou du moins doit rester dans le cadre d’un blog. Pas plus.
Alexandre, sur un petit tabouret, au milieu d’un champ, avait un petit peu froid. Mais il aimait bien cela. La vue dégagée était parfaite. Pas un seul nuage. La nuit était parfaite, et le ciel était si beau. Un compas, une boussole, une carte du ciel, un sandwich jambon fromage préparé contre sa volonté par sa mère, le téléphone débranché, pas un chat à l’horizon. Et des milliers d’étoiles, planètes, nébuleuses, à pertes de vue, tel du sucre glacé qui s’étendrait sur un gâteau géant. Alexandre était passionné d’astronomie, et ce depuis l’âge de sept ans. Lorsque la maitresse lui avait demandé ce qu’il voulait faire plus tard, il avait répondu astronome. La maitresse, avec ses 35 années d’expérience, lui fit répéter. Mais jamais, au grand jamais, elle n’avait obtenu le « t » qui aurait transformé le déjà génie passionné en un commun petit garçon qui aurait le mois d’après certainement dit qu’il voulait être pompier ou footballeur professionnel. Alexandre n’avait pas la tête dans les étoiles, il y avait toute son âme, ses émotions, ses espoirs.
L’étoile de Bernard, l’étoile de Luyten, l’étoile de Teegarden, Kruger 60, Wolf 424, Cephei, Pegasi, Horionis, Hidrae…Alexandre les connaissait toutes depuis l’âge de 10 ans. Les étoiles le transcendaient. Des millions de lucioles à travers le ciel. Les yeux d’Alexandre brillaient à la lumière des étoiles, à moins que ce ne soit les étoiles qui brillaient à travers les yeux d’Alexandre.
Mais, s’il arrivait à en parler avec passion, Alexandre regardait parfois les étoiles avec effroi, et parfois aussi avec cette mélancolie qui dégoulinait comme une note de musique pouvait effleurer une oreille trop peu sensible. Certains, philosophant bien plus que philosophes, disaient que c’était certainement à cause de ce mélange d’infiniment petit et d’infiniment grand qui se déchainaient devant lui. Ceux-là écoutaient probablement du Chopin en ricanant un verre de Mojito à la main devant une œuvre de Kandinsky. Mais la mélancolie d’Alexandre, c’était celle des promesses non tenues, celle de l’amour – pléonasme.
Un amour pour l’astronomie, très certainement, répondit notre chopiniste ingénu. Non. Alexandre poursuivait un master en physique et astronomie. Il n’avait pas menti à sa maitresse, comme il s’était toujours promis de ne jamais mentir à quelconque être lui ayant apporté plus qu’il ne pourrait rendre. Alexandre avait promis, à 10 ans, quelque chose de si grand que seul un fou aurait pu promettre. Amoureux très jeune de l’écriture, la grâce en remercie son père, il avait dès son plus jeune âge joué de bons mots. Et à ce jeu là, il y avait Aurélie.
A 11 ans on est amoureux. Pas encore autant qu’à 15 ans, mais certainement plus qu’à travers les autres âges de la vie, où l’on ne découvre plus rien, où l’on a déjà tout écrit mais qu’un fléchissement exceptionnel et irrationnel de l’esprit permets de croire encore à la surprise, aux changements, à la tachycardie. Et à 11 ans, quand on est poète, quand on aime les étoiles et qu’on à la chance dans une ferme de province de tenir la main de la petite tête blonde qui sert de fille aux amis de vos parents, on promet, chevaleresquement.
Les yeux dans les yeux, la voix, fébrile, les étoiles et les constellations sont énumérées. N’apercevant pas que pudiquement l’autre être cache le fait qu’il n’apparait à ses yeux qu’une immense masse de points blancs sans nuance, on énumère. Imaginez-vous le lendemain d’une soirée trop arrosée devoir reconnaitre un grand cru face à un vin de supermarché, et vous serez dans la peau d’une fillette aux yeux clairs de onze ans allongés dans l’herbe aux côtés de notre bel Alexandre, peut-être même que l’alcool de la veille vous apportera les mêmes troubles que cette jeune fleur en émoi.
La voix se faisait plus sûre. L’être érudit pensait tout contrôler. Il se préparer à frapper, comme les grands le faisaient dans des films devant lesquels sa mère pleurait. Et puis la fameuse promesse. Une simple phrase qui à 20 ans ferait rougir toutes jeunes filles trompant son père. Une phrase sans conséquence, sauf quand on a à peine onze petites années.
« Certaines jeunes filles portent le nom d’une étoile, et bien toi, ma belle et douce Aurélie, une étoile, et ceci je te le promets, portera ton nom… »
*
Lorsqu’Axel récupéra son café de la machine, il pensa qu’il était un homme bon. Cette pensée poursuivit son chemin dans sa tête et il en arriva à la conclusion qu’il était même l’homme le plus cool de la planète. Cette nouvelle pensée le fit tellement rire qu’il se rapella qu’il était l’homme le plus drôle du monde. Et il n’avait pas tort. La journée commençait pour Axel comme toutes les journées depuis 4 ans maintenant.
Au départ, un simple blog. De petits articles sur les musiques qu’il découvrait sur Myspace. Jusque là, rien qui ne sorte du banal. Mais, son bon goût prononcé, ajouté d’un soupçon de chance et un nez assez fin avait permis à son blog de connaitre un petit succès. Puis la gloire : son blog avait découvert le groupe : The Awesome Band. The Awesome Band était composé de James, bassiste discret aux cheveux longs ; de John, batteur bodybuildé semblant sortir d’une prison mexicaine, et de Peter, guitariste et chanteur mal rasé aux yeux bleus. Leur musique ? Cool. Leurs inspirations ? Ils n’en avaient pas. Ils voulaient créer quelque chose de totalement nouveau et dément. Au final, on les avait déjà oubliés.
Suite à la découverte de ce groupe, l’influence du site allait en grandissant. Les meilleurs groupes sortaient directement des articles d’Axel. Le site avait été grandement amélioré, la publicité y régnait allègrement, et Axel avait monté sa propre société, au nom du site : Barbie Lover, nom qu’il avait inventé entre deux blagues pendant qu’il bavardait dans un ennuyeux cours scientifique. Il avait trouvé un moyen absolument génial pour faire de l’argent : plutôt que d’être payé par les majors pour faire la promo de groupe, il contactait les majors avant de sortir un article sur un nouveau groupe pour que celles-ci signent en exclusivité les artistes avant qu’ils n’explosent. De ce fait, il restait indépendant, garantissait la qualité du site, et se faisait un max de tunes. Well done.
Axel vendait du cool. Il offrait en plus régulièrement à de jeunes designers qu’il trouvait sur internet de refaire le site à leurs couleurs. Ceux-là gagnaient la célébrité, la possibilité d’avoir de nouveaux projets comme des pochettes d’albums ou des clips. Axel touchait un pourcentage sur leurs premiers contrats. Puis il avait créé des tee-shirts qu’il vendait depuis sont site aux designs de ces jeunes artistes.
Axel décida qu’il était temps de sortir une version papier de son webzine. Il embaucha quelques personnes, loua des petits bureaux au plein cœur de Paris, et organisa des concerts le jour du lancement un peu partout en France. Les artistes qu’il avait propulsés en haut de l’affiche acceptèrent tous de venir se produire pour presque rien. Une franche réussite là encore.
Axel continua à faire grandir son journal et empocha des millions d’euros. La machine à billets fonctionnait très bien à chacun de ses nouvelles idées. Maintenant, il possédait une bonne partie d’un petit immeuble près de Rivoli. Et de nombreux employés. Ses idées étaient si brillantes et si rentables qu’il pouvait se permettre de payer tout son personnel deux fois plus que dans les boite concurrentes. Peu à peu, il continuait son ascension. Il se diversifiait : il possédait maintenant pour filiale une boite de publicité et de communication, un groupe de journal, une radio (la plus cool du moment.) et il allait bientôt avoir sa propre chaine de télévision. Il utilisait parfaitement les synergies : les artistes que le journal découvrait étaient utilisés dans la publicité, comme créateurs. Axel finançait des facultés d’art et créa une école d’art pour capter les talents à la source. C’était la force d’Axel : capter les artistes dès le début, capter les talents naissants. Axel était le meilleur DRH possible.
Sur son site professionnel, le slogan de Barbie Lover avait changé. « La fabrique du cool » était encore assez présent dans l’esprit de la boite, mais il avait décidé que le slogan serait dorénavant « Nous avons les moyens de faire parler », plus en rapport avec ses nouvelles activités dans la publicité et le buzz marketing.
Il était dix heures du matin et Axel, toujours à la machine à café, les vapeurs d’eau bouillante se dissipant peu à peu, venait d’avoir l’idée du siècle. La quatrième de la matinée.
*
Lorsque Raphael se réveilla, il mit un petit temps à comprendre où il était. C'est-à-dire au milieu d’un endroit qu’il ne connaissait pas. Il faisait déjà grand soleil. Les gens autour le regardaient un peu bizarrement, mi-choqués mi-amusés. Raphael se redressa en position assise, passa la main dans ses cheveux, et essaya de réfléchir. Mais il avait l’impression qu’un pic à glace lui avait traversé le cerveau. Il regarda à droite, à gauche, et vu en face de lui ce qu’il pense être un petit lac. Deux jeunes filles se trouvaient dans l’herbe assises pas loin de lui. Il demanda où il était, ceux à quoi elles répondirent : « Excuse me we don’t speak French ». Raphael se gratta la tête : « Where are we ? ». Les filles rigolèrent en cœur : « You are in the Vondelpark ». « The what ? » s’étonna t’il. “The Vondelpark, you are in !”.
Raphael se mit à rire et remercia les jeunes filles. Amsterdam. Il commençait à se souvenir vaguement de son « week-end ». Mercredi, il était allait boire un verre, pas longtemps car il voulait travailler sur un projet. Mais une bière puis une autre, puis lui et son ami avaient rencontré deux Américaines qui faisaient le tour de l’Europe. Et voilà comment il s’était retrouvé dans un road trip qui l’avait amené en Allemagne, à Bruges, à Copenhague, et enfin à Amsterdam en ce beau dimanche. Il ne se rappelait plus dans quel ordre il avait visité ces villes, à part la dernière bien entendu. En fait il ne se rappelait de pas grand-chose, à part les noms de villes. Et aussi l’alcool, les extas, et des baises dans divers toilettes.
Lorsqu’il fouilla ses poches, Raphael se rendit compte qu’il n’avait plus son portable. Ce n’était pas grave en soit, mais il aurait bien voulu revoir ses camarades. Il était temps pour lui de rentrer, mais il voulait profiter un petit peu de cette ville qu’il connaissait bien. Trop tôt pour le quartier rouge, mais la journée s’annonçait belle pour une balade en pédalo sur les canaux, car Raphael voyait à peu près où il était, et une station n’était pas loin. Raphael proposa avec son plus bel accent anglais aux demoiselles situées à côtés de lui, qui curieusement acceptèrent. Il loua un pédalo. Sa carte bleue marchait encore, miracle. Raphael avait la fâcheuse tendance à payer des verres quand il en avait déjà trop pris.
Le pédalo fut agréable, la compagnie et la discussion en anglais plus que correcte, et la vue des passants souriant au pédalo à la dérivé assez amusante, surtout devant le Hard Rock Café. Raphael aimait le côté occidental de la chose, retrouver des marques connus un peu partout où il allait.
Après avoir déposé les deux jeunes filles et le pédalo, Raphael décida à aller faire un tour dans le coffee shop situé entre la rue principale Damrak et Nieuwezijds Voorburgwal. Il aimait ce coffee shop car il était français. Il aimait bien ces endroits où l’on pouvait fumer, mais regrettait de ne pouvoir y boire. Il commanda un joint tout prêt : il fumait suffisamment pour tenir le joint mais ne payait que trop rarement à Paris pour pouvoir savoir rouler. Raphael, dans la lumière un petit peu verte du coffee, profitait de son joint et jouait avec la fumée, dans une ville qu’il aimait bien, sans trop réfléchir à savoir de comment il était arrivé jusque là.
Lorsqu’il eut finit, Raphael rejoignit Central Station pour trouver un Thalys pour Paris, ce qui ne fut pas trop compliqué. Il aurait voulu faire un tour à l’Alliance Arena, mais il décida que ce n’était pas raisonnable. Alors que son train regagnait Paris, après s’être demandé ce qu’il allait pouvoir racontait pour expliquer son absence en cours aux Beaux Arts, Raphael se mit à réfléchir sur le projet qu’il était en train de mener : le projet Coverfield.
Chapitre 2
Charlie enleva ses gants en cuir et les posa dans sa veste. Il vérifia ensuite le col de son manteau. Il trouva une fenêtre où il put s’observer à travers le reflet. Plutôt pas mal pensa-t-il. Mais il n’était pas là pour son look. Encore que, dans ce magasin de culture, il aimait soigner les CD, DVD, ou livres qu’il regardait.
Après un rapide tour dans les DVD juste pour le plaisir de regarder la pochette de The Direktor de Lars Von Trier et de Match Point de Woody Allen, Charlie resta un peu plus longtemps au rayon des CD, et principalement dans la partie indépendante et la partie électronique. Regardant tantôt avec dédain, tantôt avec intérêt, des cd qu’il connaissait par cœur et qu’il avait déjà écoutés, Charlie était un garçon de café de Sartres. Une pièce de théâtre moderne parisien, un peu bobo, un peu conservateur républicain lorsqu’il pénétra le rayon classique et saisit un Wagner. Mais Charlie savait qu’il n’était pas là pour ca. Il avait pris rendez-vous pour le rayon des livres.
Lorsqu’il se retrouve à l’étage des livres, il eut un peu peur. Il eut envie de s’approcher des livres en anglais mais il se rappela qu’ils étaient trop peu, et qu’il n’était pas venu chercher cela.
Charlie était venu chercher l’inspiration. Il prit les livres, les uns après les autres, et commença à lire les quatrième de couverture. Bien entendu, il débuta par des auteurs qu’il lui était connu. Malgré le but recherché, il restait toujours chez lui un petit peu de posture. Il saisit des Scott Fitzgerald, des Dostoïevski, des Bret Easton Ellis, des Tom Wolfe, des Nick Hornby, quelques Wilde, des Nick Mc Donell pour être moderne. Mais il n’était pas là pour cela. La frustration qu’il ressentit à la vue de tout ce qu’il percevait comme les grands auteurs lui fit comprendre cela. Il se tourna alors vers de parfait inconnus. Car, ce que cherchait Charlie était l’inspiration.
Un jeune homme parcourait l’Alaska pour mourir dans la forêt. Un homme se faisait effacer la mémoire par un service qui proposait de faire disparaitre de votre tête vos ex. Une société fonctionnait comme des fourmis. Le 11 septembre dans la vie de simples personnes. La génération MTV décortiquée. Une rupture sous forme de top 5 de vos musiques préférées. Un roman sur le vagabondage. L’amour pour une fille de 15 ans. La couse à pieds à 30 ans. 700 pages pour un dépucelage. L’histoire d’un jeune homme analphabète et de la célèbre villa Kerylos, ou celui qui n’avait jamais vu la mer. Un roman contre la publicité de l’homme marketing. La vie racontée des filles qui vont fait souffrir.
Charlie, lisait tous les quatrièmes de couverture, parfois pouffait, parfois avait envie de pleurait. Charlie cherchait la petite idée, toute petite, celle qui permettait, une fois développée, de faire un grand roman. Certaine chose ne tienne à rien. Et Charlie, perdu au milieu d’auteurs de génie et d’autres de renom, cherchait une inspiration qui ne pouvait pourtant pas naître ici.
*
Saviez-vous que les nébuleuses étaient la mort d’une étoile ? Ce magnifique spectacle n’est en fait qu’une sépulture. Alexandre lui, le savait. Il en savait même plus encore. J’aimerais pouvoir vous en parler mais je ne comprends pas tout. Alors laissons Alexandre avec ses connaissances dans sa tête, car ce n’est, après tout, pas ce que nous voulons savoir de lui.
Alexandre pouvait parfois paraitre frustré. Chercher une étoile sans la trouver, voilà qui peut paraitre terriblement énervant pour un être comme vous et moi. Mais Alexandre se fichait d’aboutir. Ce qu’il aimait c’était la recherche…
Certes, si son imagination ne lui permettait pas de se voir dans les journaux télévisés, avec un pull mal porté, déclarer l’importance de sa découverte face à des gens ne pensant qu’à leur pouvoir d’achat, il n’aurait pu continuer. Il voulait non pas être célèbre, mais être connu. Pour qu’Aurélie le recontacte. Pour qu’Aurélie puisse remarquer qu’il avait tenu parole. Mais les heures passées à regarder les étoiles n’étaient jamais longues. Son imagination était sans fin. Parfois il s’inventait des OVNI. Parfois il regardait simplement dans le vide.
Alexandre était un rêveur. Il écoutait de la musique parfois pendant qu’il regardait les étoiles.
De toute façon il n’aimait pas dormir. Dès lors, que faire la nuit, si ce n’est observer les étoiles…
Alexandre continuait à chercher. Alexandre était un exploreur d’un genre nouveau.
*
Des ouvriers de la ville avaient travaillé toute la nuit sur les bus, dans le métro, sur toutes les affiches publicitaire. C’était le plus gros contrat jamais signé pour une municipalité et le client, qui devait rester parfaitement anonyme pour le moment, avait exigé que tout marche pour le lendemain 8 heures. Toutes les affiches de la ville avaient été remplacées par des écrans plasmas qui pour le moment ne diffusaient strictement rien.
Les premiers travailleurs, ceux minés par la fatigue, avaient vu ces écrans. Ils étaient étonnés, mais pas tant par les écrans que par le fait de ne capter aucun message publicitaire dans leur cerveau si avide de connaissances matérialistes.
Et puis à 8heures, un compteur s’enclencha. Des heures, des minutes, des secondes, des microsecondes s’égrenaient, en rouge sur fond noir comme dans les films où une bombe allait exploser et que le gentil devait arrêter (ce qu’il réussissait à chaque fois, à 2 secondes de la fin, en coupant le fil de la couleur préférée de sa fille vivant avec sa mère et qui se plaint qu’il n’est jamais là pour lui. Après, ils vont manger une glace.)
Le compteur, sablier des temps modernes, avait comme date finale le samedi deux semaines plus tard. Les gens le regardaient défiler, étonnés. Ils en discutaient entre eux. Déjà les premiers journaux à la radio parlaient du compteur. Des compteurs partout dans la ville. Le maire interrogé ne broncha pas, mais avec le sourire il essaya tout de même de rassurer les gens sur la qualité marketing des compteurs, car la police avait déjà reçu des milliers d’appels de gens inquiets.
Axel, du haut de son immeuble fraichement construit, fumait un cigare. Il regarda sa montre, puis à nouveau le spectacle que lui offrait la vue imprenable de là où il était. Un sourire de satisfaction magnifiait son visage.
*
Aurélie n’aimait pas vraiment David. Mais elle n’aimait quand même pas qu’il aille voir d’autres filles. Elle n’aimait pas quand il était amoureux d’elle, mais il n’aimait pas quand il ne l’était pas. Elle ne voulait pas être avec lui, mais elle se plaignait quand il s’éloignait un peu trop. Elle n’aimait pas quand lui faisait une crise de jalousie, mais elle n’aimait pas qu’il ne soit pas jaloux. Aurélie n’aimait pas quand il faisait le petit garçon, mais Aurélie aimait le vocabulaire simple et de toute beauté qu’il utilisait pour la décrire. Aurélie était un peu chiante en fait, mais c’est pour ca que David l’aimait, et c’est aussi pour cela qu’Aurélie s’aimait.
Lorsque David lui proposa d’aller au musée, Aurélie n’était pas enchantée tout à fait. Elle savait qu’il n’aimait pas spécialement cela et que ce n’était qu’un prétexte pour la voir et qu’il allait déblatérer des imbécilités de faux cultivé sur la misère au Brésil et sur le nouvel eugénisme des sociétés occidentales. Mais Aurélie avait besoin de sortir car elle commençait à devenir folle dans son loft atelier, et puis au fond elle avait aussi besoin de ce genre de conversation puisqu’à la prochaine soirée elle allait déblatérer les mêmes imbécilités à des gens qui seront captiver par ses yeux et par la force de son engagement.
L’exposition sur Bridget Riley, surtout ses premières œuvres en noir et blanc. Les couleurs qu’elle utilisait étaient trop banales pour émouvoir une Aurélie qui allait dans les musées depuis qu’elle avait 4 ans pour des moments privilégiés avec son père. David était trop bavard, et n’avait décidément pas la prestance de son père. Elle aimait son père car dans les musées, il passait moins de temps à étudier les œuvres qu’à regarder ceux qui s’y trouvaient...
Amsterdam
150 mètres
La City.
100 mètres