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Cleaz Words
7 décembre 2011

Generation Y

Selon les spécialistes, les cycles économiques se raccourcissent de plus en plus. Les périodes de croissance et les périodes de crise se succèdent à toute vitesse. L’incertitude règne. Les bulles se gonflent et se dégonflent. La nouvelle économie est déjà remplacée par une nouvelle économie. Des doutes suivent d’autres doutes.

Il en va certainement de même de nos vies. Nos grands-parents se sont plaints du monde à leurs 60 ans. Nos parents ont connu la crise de la quarantaine. Nos grands frères sont nés dans les années 70 et sont devenus ces fameux insupportables trentenaires dépressifs, socialistes de salon, écologistes,  fan de François Bégaudeau et de culture mexicaine. Et nous voici, nous, la nouvelle génération. Nous avons entre 25 et 28 ans, nous avons vécu à l’étranger au moins 6 mois à la fin de nos études, puis nous sommes retournés à Paris. Parce que là est le travail. Parce que nous sommes probablement trop lâches et que nous aimons finalement payer nos pintes une fortune.

Ce soir, je suis dans un bar à vin. Le concept de bar à vin dans Paris est révolutionnaire : servir de mauvaises bouteilles à des gens qui n’y connaissent rien très chères pour leur faire croire qu’ils boivent du bon vin. Après deux ou trois bouteilles commandées, les filles exigeront le vin le plus sucré (du blanc, bien entendu), les garçons le plus âpre parce qu’ils ont l’impression que c’est celui qui a le plus de goût. Le bar à vin est toujours exigu, car il est toujours marrant de se faire bousculer. Les tables sont des tonneaux, décoration originale de tous les bars à vin. Musique hype extrait du dernier Nova Tune. Serveurs jeunes avec une barbe et des cheveux longs. Spécialités locales bien françaises à la carte. 

Le décor est planté, la soirée commence. On retrouve un ami qu’on a rencontré par une amie qu’on connait d’une soirée. Les discussions commencent. Les allers-retours vers l’extérieur pour aller fumer s’enchaine. Une énième embrouille avec un videur car, comme les deux cents fois précédentes qu’on ait venu, dans ce bar ou ailleurs, on n’a pas le droit de sortir avec son verre, et que choisir entre fumer et boire est un dilemme qui nous emmerde profondément.

Je discute avec une fille aux cheveux longs qui me raconte depuis 30 minutes à quel point ses six derniers mois à Bangkok étaient absolument géniaux. A ce moment précis, j’ai autant le désir de la gifler que de lui faire l’amour. Je ne suis jamais parti plus loin que les frontières européennes et chaque fois que j’entends parler d’ailleurs, la frustration et la jalousie me serrent un peu plus le cœur. Mais elle est un peu belle, et je suis un peu en manque. Du coup je l’écoute avec le sourire et des yeux qui brillent d’une profonde indifférence.

Deux amis nous rejoignent dans la discussion. Dans ce groupe de quatre, nous sommes trois à bosser dans le consulting, et une en agence de consulting. Avec les crises à répétitions, les budgets des banques et entreprises se font et se défont. Plus de place pour employer de nouveaux gens, alors les cabinets de consulting se sont remplis. Nous savons tous faire de joli Power Point. L’un d’entre nous raconte qu’en ce moment il est dé-bor-dé et qu’il n’a pas le temps de voir le jour. D’ailleurs c’est pour cela qu’il est en costume et qu’il ne s’est pas changé. Un autre alors surenchéri, il doit faire des visites dans les filiales d’une grande société et c’est sa première sortie du mois. Pour ma part, j’ai fini cette semaine tous les soirs à 19h. Alors je culpabilise. Un premier commence à dire qu’il déteste son boulot. Chacun de nous surenchéri et à la fin, nous avouons tous que nous cherchons ailleurs. La télévision et les informations nous parlent de la peur du chômage et nous voyons chaque jour dans nos écrans que nous ne regardons plus beaucoup des gens craignant pour leur stabilité. Nous, avec nos niveaux d’études et malgré nos jeunes âges, nous ne nous imaginons pas plus de deux ans au sein de la même entreprise. Mieux encore, chacun d’entre nous cherche le nouveau concept internet qui nous permettra de nous lancer dans un projet personnel qui nous permettra de nous sortir de ce monde du travail, alors que nous ne connaissons encore rien à la vie. Mais les personnes qui sont là avec moi ce soir, je sais que nous n’en avons ni le talent, ni le courage. Alors nous recommandons une bouteille de vin.

Je commence à être saoul. Nous sommes tous saoul. Sous somme maintenant deux filles et quatre garçons. Les filles rigolent entre elles. On commence à s’imaginer le lendemain. Et voila que nous nous décrivons comme fous. Je voudrais protester, comme je le fais lorsque seul chez moi et en dépression je porte un regard amer sur ces soirées, mais je n’y arrive pas et j’acquiesce finalement. Car c’est ainsi que nous nous considérons, fou. Notre folie n’a rien du génie, notre folie n’a rien de passionné. Notre folie consiste à sortir tard en semaine alors que nous travaillons le lendemain et à boire plus que de raison. En fait ce qui nous rapproche c’est que nous détestons tous plus ou moins notre boulot, que nous n’avons pas trouvé un domaine nous exaltant alors que nous avons eu tout le temps de nos études aux horaires aménagées pour trouver, et que nous avons prolongé ce que nous faisions déjà en école, c'est-à-dire boire, discuter avec des gens que nous ne connaissons pas, parler fort et chanter en se foutant de gêner les autres. Ce qui nous rapproche, c’est de rire en pensant aux couples qui ne sortent plus, qui projettent d’acheter ou qui s’installent ensemble alors que nous sommes incapables de nous attacher. Voila notre folie. Nous l’exhibons comme un trophée d’un grand championnat alors que nous sommes autant des winners que le vainqueur du trophée de l’orthographe en sixième B.

Ce soir je suis aigri parce que je ne vais pas coucher avec la fille aux cheveux longs. Et en plus je viens d’envoyer un texto pourri à une autre fille aux cheveux longs. Je regrette déjà ce texto mais je ne me fais pas trop de souci pour le moment. Je sais que demain je ne m’en souviendrais pas et que je le regretterai pour de bon en vérifiant mon portable pendant que je soignerai mon mal de crâne. C’est donc le moment choisi pour que l’un d’entre nous sorte la blague du « passé une certaine heure, votre portable devrait vous demander une confirmation avant d’envoyer un texto ! Hahaha ! ». Blague générationnelle.

Il est sans doute temps que je rentre chez moi maintenant. La musique qui passe est Jamie XX. J’ai beau me dire que de la Dub Drum minimaliste, c’est quand même un style de musique au nom ridicule, je n’arrive pas à croire que ce môme n’a que 20 ans et est capable de produire de la musique de folie en appuyant sur tout un tas de bouton à la fois. Il a du bosser dur. Et je ne sais pas comment cela fait de bosser dur dans quelque chose qu’on aime. Le seul boulot compliqué qu’on me demande est d’aligner parfaitement tous les titres des 47 slides qui partent au client demain, car, tu comprends, c’est important de soigner sa présentation. Avant j’étais un peu rebelle et je me disais que le fond était toujours au dessus de la forme en me moquant de mes camarades qui soulignaient proprement leurs fiches de cours. Et puis j’avais fini par accepter. J’en faisais maintenant même un principe. Je détestais mon métier, mais c’était un devoir de faire en sorte que chaque petit carré soit parfaitement aligné au carré qui le suit et au carré qui le précède.

 

Tout en écoutant la musique, j’éprouve la même frustration que la fois où je me suis rendu compte que les Bleus de l’Equipe de France de football commençaient à être nés après 1985. Un des consultants se met à parler d’impôt. Cette année, nous payons nos premiers impôts. Alors on fait une blague ou deux sur les pauvres. Puis une blague ou deux sur les gauchistes. Un silence gêné se fait sentir. On se rend tous un peu compte que ce dont on se moque, c’est nous il n’y a pas si longtemps. Nous sommes presque tous de gauche libéral. On ne sait pas trop ce que ca veut dire, mais ca a l’air de pouvoir nous laisser partir en voyage un peu partout, entreprendre et râler sur le système éducatif aberrant, et nous évite d’être totalement cynique. Du moins à nos yeux.

 

Je dis à tout le monde que je suis trop saoul et je m’échappe comme un voleur, en espérant que quelqu’un me retiendra ou me demandera si ca va par texto ou dans un message Facebook un peu plus tard. A force d’avoir tourné au ridicule l’expression « ca va », plus personne ne se pose la question. A moins que ce soit le fait qu’à présent je me rends compte que mon détachement ne me mène à rien.

 

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